C’est l’histoire d’une "bombe climatique", qui n'explosera peut-être pas. Papua LNG, un projet d’extraction gazier opéré par TotalEnergies en Papouasie-Nouvelle-Guinée, pourrait générer autant de CO2 que le Bangladesh chaque année. Ses promoteurs escomptent sa mise en fonction d'ici la fin 2027, voire en 2028.

Mais depuis quelques semaines, le chantier gazier suscite des doutes inattendus quant à sa réalisation. Initialement prévue à la fin de l'année, la décision finale d’investissement (FID) du projet "sera retardée de quelques mois", pour "sécuriser son financement" prévenait sobrement, mi-décembre, la presse papouasienne.

Plus concrètement, selon les informations recoupées par Reclaim Finance (une ONG spécialisée dans la finance durable), au moins sept banques devraient ne pas financer le projet : l’italienne UniCredit, et les australiennes Commonwealth Bank of Australia et Westpac, les françaises BNP Paribas, BPCE-Natixis, Société Générale, et CIC-Crédit Mutuel.

Sept grandes institutions bancaires auxquelles s’ajoute désormais le Crédit agricole. Le 14 décembre, "la banque aux épis de blé" prenait une salve d'engagements en faveur du climat. Parmi eux, celui de ne plus financer de nouveaux projets d’extraction fossile, y compris gazier, tel Papua LNG. 

"Et nous ne reviendrons pas en arrière", confirme auprès de France 24 une source du Crédit agricole. Préférant garder l'anonymat, elle fait valoir "l’urgence de la transition", "durement rappelée lors des débats de la COP28".

TotalEnergies cherche partenaire bancaire pour projet non durable

Un revers pour TotalEnergies, au moins sur le plan symbolique : outre son rôle de conseiller financier du projet Papua LNG, le Crédit agricole était, sur la période 2016-2022, la première banque finançant TotalEnergies au monde, selon les calculs de 25 ONG.

En 2024, cette banque est désormais aussi le premier actionnaire de l'énergéticien : elle détient 9,64 % des parts de l’entreprise, selon les dernières estimations du groupe américain Bloomberg recueillies par Reclaim Finance.

La question existentielle, explique-t-on toutefois au Crédit agricole, n'est pas d'arrêter d'exploiter les énergies fossiles, mais d’abord de savoir comment les remplacer.

D’autant que "TotalEnergies est le premier investisseur dans les énergies renouvelables au monde" remarque un cadre de la banque. 

Selon l’analyse réalisée par l’ONG Reclaim Finance, la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique de TotalEnergies devrait rester en dessous de 13 %, d’ici 2030, soit bien en dessous de l’objectif de 42,5 % fixé fin 2023 par l’Union européenne pour la même période.

Plus d’énergie propres, toujours autant d’énergies sales

Oui, la transition est trop lente, concèdent des acteurs du monde bancaire. Mais selon le Crédit agricole, l'enjeu est justement d’encourager l’énergie propre en investissant "massivement" dans les projets renouvelables existant.

En France, la banque se félicite de tripler ses financements annuels dans le renouvelable sur la période 2020-2030. En cherchant à verdir ses investissements, le "Crédit agri" s’inscrit en fait dans une tendance propre à l'économie mondiale.

Car en 2017, celle-ci a franchi un cap historique. Les investissements propres dépassent depuis cette date ceux dans les énergies fossiles, rappelle Nicolas Berghmans, chercheur en politiques climatiques et énergétiques à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). 

Désormais, la valeur des investissements "propres" représentera presque le double de celle des énergies fossiles, selon les prévisions de l'Agence internationale de l’énergie (AIE). "La tendance est donc positive", résume le chercheur.

Positive, et pourtant très en deçà des objectifs fixés par les accords de Paris signés en 2015. À l’horizon 2030, maintenir le réchauffement climatique en dessous de +2°C exige des investissements annuels sept fois supérieurs à ceux récemment opérés dans la finance-climat, rappellent les chercheurs de la Climate Policy Initiative.

En outre, dans un monde qui consomme toujours plus d’énergie, le renouvelable ne remplace toujours pas les énergies polluantes, mais s’y ajoute.

"Nous sommes dans une logique où on cumule les investissements dans l’une et l’autre, et ce qui est préoccupant, c’est que les sommes octroyées aux projets fossiles, sans augmenter, ont arrêté de décroître ces dernières années" analyse ainsi Nicolas Berghmans.

Entre janvier 2016 et juin 2023, pas moins de 1 011 milliards d’euros ont pu être empruntés pour poursuivre l’expansion des activités fossiles dans le monde, selon l'enquête publiée en septembre 2023 par une dizaine de médias européens. Et selon ce consortium de journalistes, les banques françaises comme le Crédit agricole, BNP Paribas, ou encore la Société générale ont participé a un peu plus de la moitié des opérations.

Ces milliards ne sont pas systématiquement octroyés sous forme de prêts "directs", mais souvent via des obligations, encadrées par les banques. En termes plus profanes, celles-ci fournissent une expertise indispensable, ce qui permet à TotalEnergie, Saudi Aramco, ExxonMobil et consorts de "se servir sur le marché financier".

Se "détourner totalement du secteur des énergies fossiles ne serait pas responsable" arguait récemment Philippe Brassac, directeur général du Crédit agricole, dans une interview accordée aux Échos. "Cela ferait peser le risque que l’énergie devienne trop coûteuse", précisait même le financier. 

L’explosion du coût de l’énergie – carburant essentiel à toute activité industrielle – ébranlerait en effet l’ensemble de nos économies, à plus forte raison celle des pays en développement.

Un argument "rhétorique", qui "caricature" le positionnement des ONG, regrette Antoine Laurent, chargé de plaidoyer chez Reclaim Finance : "Personne ne prône une sortie immédiate des énergies fossiles. La question n'est pas de savoir si on doit les lâcher ou non, mais à quel rythme doit-on réduire notre dépendance. C’est là-dessus que nous divergeons avec la plupart des acteurs financiers."

La finance face aux lois de la physique

Pour ces derniers, le risque climatique n’est pourtant plus "une légende", estime Dejan Glavas, professeur associé en finance à l’ESSCA. Le coût de "l’inaction climatique", en effet, frappe déjà le secteur financier, abonde le chercheur.

Mise en faillite par les incendies qui ont ravagé la Californie fin 2018, l’entreprise américaine d’électricité Pacific Gas and Electric (PG&E) est considérée comme l'une des premières sociétés victime du dérèglement climatique. Ses investisseurs avaient alors vu la valeur de leurs actions chuter drastiquement. 

Les exemples de cet ordre sont légion, estime Antoine Laurent de Reclaim Finance : "Que pense le Crédit agricole des dizaines de millions d’euros perdus par sa filiale d’assurance de sinistres climatiques en 2023 ?", interroge le chargé de plaidoyer. À elles seules, les inondations du Pas-de-Calais lui ont couté 262 millions d’euros, rappelle encore l'ONG.

À ce type de risques s’ajoute la dimension réputationnelle des banques. Un paramètre qui ne cesse de gagner en force, se réjouit Antoine Laurent. Le bilan écologique d’une banque compte surtout chez les jeunes, lorsqu’ils choisissent un établissement financier, souligne Dejan Glavas.

Mais pour lui, les problématiques d’image se posent plus encore lors du recrutement. Leur productivité étant hyper-dépendante du capital humain, les grands établissements recrutent leurs cadres parmi les plus diplômés, notamment en école d’ingénieur.

Dejan Glavas a lui-même côtoyé ce type d’étudiants alors qu’il enseignait à l’École des Ponts ParisTech : "Au fait des lois de la physique, ils trouvent dans leur bagage académique les clés pour s'approprier les rapports du GIEC." Et les traduisent aussi en choix de vie. Selon un sondage Harris Interactive de 2023, 70 % des jeunes seraient prêts à renoncer à un poste dans une entreprise qu’ils jugent non-conforme à leurs attentes environnementales.

Born in 2018, the French collective For an Ecological Awakening now brings together more than 34,000 students.

Coming from the most prestigious establishments – the École Polytechnique, AgroParisTech or the ENS – they carry a message to their elders: “Our studies will not be used to destroy the planet.”

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