Sanctions contre la Russie: la plus grande compagnie aérienne privée du pays réduit la voilure

Le secteur aérien russe commence officiellement à souffrir des sanctions occidentales. C’est une première dans le pays : la compagnie aérienne S7 va devoir licencier du personnel à Moscou et diminuer le nombre de ses liaisons depuis et vers la capitale russe.

Un avion de la compagnie russe S7 décolle de Moscou, le 10 octobre 2017. AFP - ALEXANDER NEMENOV

Par : Anissa El Jabri Suivre

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De notre correspondante à Moscou, 

Les ailes de la compagnie S7 ne sont pas coupées, mais ça va mal : 20% de sa flotte d’une centaine d’avions est désormais clouée au sol. Plus précisément les A 320 et A 321 néo. En cause, des difficultés sur leurs moteurs. 

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Les moteurs PW1000G présentent des problèmes de fonctionnement ; l'été dernier, le constructeur a rappelé plus d'un millier de moteurs de ce modèle, note le journal RBK. Les compagnies aériennes en Europe et aux États-Unis ont été contraintes d’annuler leurs vols et au moins 57 transporteurs ont cessé d’utiliser des avions équipés de ces moteurs ». Sauf que partout dans le monde, dans ce type de situation, les compagnies peuvent se mettent en relation avec le fabricant. 

Impossible en Russie. Et pour cause : depuis la mise en place des sanctions en 2022, il n'y a plus de pièces détachées, plus de maintenance, plus d’inspection technique extérieure, et aucun nouvel appareil occidental ne peut y être vendu. Depuis bientôt deux ans, tout vol sur un Boeing ou un Airbus d'une compagnie russe est donc, en tout cas sur le papier, une prise de risque. Les réparations via « pays amis », comme on dit en Russie, ne peuvent en effet suffire.

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Aucun incident n’a été rendu public avec les vols de S7 qui desservaient jusqu’ici toutes les grandes villes, mais la compagnie a tout de même dû tirer de cette situation des leçons sévères. La compagnie, selon les médias russes, va licencier 15% de son personnel à Moscou et invitera certains autres employés à rejoindre ses grands centres dans l’est : Irkoutsk ou Novossibirsk, là où elle entend concentrer et renforcer ses activités.

Il s’agit là d’un retour à la case départ. Historiquement, S7 (S pour « Sibérie ») est une branche de l'Aeroflot soviétique. Au début des années 2000, la société s’était développée sur tout le territoire au point de devenir le plus grand transporteur aérien privé de Russie. « Les pilotes peuvent se reconvertir sur un autre type d'avion, notamment sur l'Embraer 170, et également continuer à travailler pour l'entreprise. De plus, certains pilotes et agents de bord, sur la base de nos recommandations, partent travailler pour d'autres compagnies aériennes, y compris internationales », a indiqué la compagnie aérienne au journal RBK.

Vers des licenciements dans d'autres compagnies ?

Les compagnies aériennes russes Aeroflot et Pobeda ont déjà déclaré qu'elles étaient prêtes à embaucher des agents de bord licenciés par la compagnie S7. Cependant, les experts interrogés par le journal Kommersant spéculent : les réductions d'effectifs chez S7 pourraient être suivies de licenciements dans d'autres grandes compagnies aériennes, car les volumes de transport aérien en Russie sont encore inférieurs de 18% aux niveaux d'avant la pandémie. Le trafic de passagers dans la Fédération de Russie s’élevait alors en moyenne à 128 millions de personnes.

La baisse est visible dans les aéroports : elles sont désormais nombreuses les boutiques fermées, faute de clients. Et la production d’avions russes ne promet pas de régler le problème rapidement. Début 2022, le Premier ministre Mikhaïl Michoustine avait fixé un objectif de 30% d’avions nationaux dans les compagnies russes à l’horizon 2030. Ce n’est pas gagné : en avril dernier, l'association regroupant les principales compagnies aériennes russes (AEVT) se disait « préoccupée » par « le calendrier » jugé trop lent de la production nationale.

Des vols cloués au sol

En 2023, selon Newsweek, la Russie a enregistré 180 cas de pannes d’avion. C’est trois fois plus qu’avant l’entrée en vigueur des sanctions. Peu sont connus ou causent de grandes frayeurs, mais dans les conversations privées reviennent de plus en plus souvent des anecdotes de pannes et de vols retardés, parfois de longues heures. Plusieurs ont défrayé la chronique ces derniers mois. En août dernier, les passagers d'un vol Red Wings sont restés coincés à Ekaterinbourg, dans l’Oural, durant 24 heures en raison de la détection simultanée de « dysfonctionnements techniques » sur les deux avions disponibles pour effectuer un vol vers la Turquie.

Dans un communiqué, la compagnie admettait des difficultés dues aux « sanctions extérieures » et aux « restrictions sur la fourniture de pièces de rechange, qui compliquent la maintenance des avions ». En août aussi, un avion de la compagnie Pegas Fly avait lui été retardé en Thaïlande en raison d'un système de surveillance météorologique défectueux. Début octobre, c'est la compagnie aérienne nationale Aeroflot qui, elle, a connu trois pannes techniques en une journée sur ses engins.

Si le Kremlin et Vladimir Poutine se vantent de résister aux mesures punitives adoptées par l'Occident depuis l'assaut russe contre l'Ukraine en février 2022, le secteur du transport aérien semble lui toujours plus affecté. Un secteur pourtant vital dans le pays le plus grand du monde, qui s’étale sur 11 fuseaux horaires. Cet automne, le porte-parole du kremlin, Dmitri Peskov, a reconnu du bout des lèvres ne pas avoir de solution en vue : « Nous sommes confrontés à de nouveaux défis et nous cherchons de nouveaux moyens pour les résoudre ».

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