Vue aérienne prise le 29 mai 2019 montrant un champ agricole dans la région de savane du Cerrado à Formosa do Rio Preto, dans l'ouest de l'État de Bahia au Brésil. — NELSON ALMEIDA / AFP

  • Mi-janvier, WWF publiait un premier rapport sur la déforestation dans les régions tropicales, s’attelant à identifier les principaux fronts de déforestation liée à des conversions d’hectares de forêts en terre agricole.
  • Ce mercredi, l’ONG publie la suite, en s’intéressant cette fois-ci aux pays qui importent ces matières premières agricoles issues de déforestation. Du soja brésilien à l’huile de palme indonésienne, en passant par la viande de bœuf, le café, le cacao.
  • En la matière, l’UE pointe à la deuxième place de ce triste classement des régions du globe qui causent le plus de déforestation chaque année dans le monde. Un argument de plus pour le WWF afin de presser Bruxelles d’adopter une nouvelle législation en la matière

Des millions d’hectares de forêts grignotés chaque année, entre 2005 et 2017, pour laisser place à la production de matières premières agricoles… L’expansion de l’agriculture reste la plus grande menace qui pèse sur les forêts tropicales, rappelle ce mercredi le WWF dans un nouveau rapport consacré à la déforestation tropicale mondiale.

Mi-janvier déjà, l’ONG publiait une étude identifiant les principaux fronts de déforestation actuels dans le monde. WWF en pointait 24. Neuf en Amérique latine, huit en Afrique, sept en Asie Pacifique. Quelque 43 millions d’hectares de forêts – soit la superficie combinée des Pays-Bas, de la Belgique et de l’Allemagne –, ont été perdus sur ces 24 fronts entre 2004 et 2017. A la place poussent du soja, des palmiers à huile, du cacao, du café et d’autres matières premières agricoles, quand ces terres ainsi mises à nu ne servent pas à élever du bétail.

L’UE sur la deuxième marche de ce triste podium

Ces denrées se retrouvent pour partie sur nos étals, en Europe. Pas qu’un peu même, déplore le WWF. C’est tout l’objet de ce deuxième rapport : remonter les chaînes de responsabilité de cette déforestation tropicale et montrer que « quand les Européens consomment, les forêts se consument ». « L’Union européenne est tristement classée deuxième au podium de la déforestation importée », indique Véronique Andrieux, directrice de la branche française de l’ONG. Selon le rapport, entre 2005 et 2017, les importations de l’UE ont provoqué « la déforestation de 3,5 millions d’hectares, soit 1.807 millions de tonnes de CO2, ce qui équivaut à 40 % des émissions annuelles globales de l’UE ».

Jusqu’en 2014 même, l’UE causait chaque année plus de déforestation que toute autre région du monde par ses importations de matières premières agricoles. Avant de se faire dépasser par la Chine, dont les importations liées à la déforestation sont toujours en forte hausse aujourd’hui. « On reste deuxième, devant des pays comme l’Inde ou les Etats-Unis, rappelle Véronique Andrieux. Et en 2017 [dernière année prise en compte dans l’étude], l’UE était toujours responsable de 16 % de la déforestation associée au commerce international, soit un total de 203.000 hectares et de 116 millions de tonnes de CO2. »

Mi-janvier déjà, WWF publiait un premier rapport sur la déforestation dans les régions tropicales, s’attelant à identifier les principaux fronts de déforestation liée à des conversions d’hectares de forêts en terre agricole. - /Infographie WWF

Des importations de moins en moins liées à la déforestation en Europe ?

Un point positif tout de même : de 2005 à 2017, l’UE est parvenu à diminuer d’environ 40 % la déforestation associée à ses importations. Véronique Andrieux l’explique déjà par des changements d’approvisionnements de certaines de ces matières premières. « Le soja vient moins exclusivement d’Amérique du Sud que par le passé, aujourd’hui d’Ukraine ou des Etats-Unis », illustre-t-elle. En dehors, donc, des fronts de destruction de forêts tropicales.

Faut-il y voir aussi le fruit des engagements pris par les entreprises et les gouvernements pour supprimer la déforestation de leurs chaînes d’approvisionnement, qui se sont multipliées ces dernières années ? En 2018, 62 % des importations de soja par l’UE en provenance d’Amérique du Sud étaient couvertes par un engagement « zéro déforestation » ou une initiative du côté de l’offre, rappelle en tout cas le WWF.

Des engagements… aux impacts limités

Il n’y a pas de quoi pavoiser non plus. En restant responsable de 16 % de la déforestation associée au commerce international, l’UE reste loin devant l’Inde (9 %), les Etats-Unis (7 %), ou le Japon 5 %. Quant aux engagements pris ces dernières années, tant par les entreprises que les gouvernements, ils ont montré leurs limites. Au-delà du fait qu’on en reste parfois aux simples belles promesses, ces engagements restent souvent inégaux selon les matières premières et les régions concernées. Si d’un côté, on l’a dit, les deux tiers des importations de soja d’Amérique du Sud étaient « zéro déforestation » en 2018, ce n’était le cas que de 19 % des importations de viande de bœuf sud-américaine, illustre le WWF.

Parfois même, des « engagements zéro déforestation » n’ont pas eu l’impact souhaité. Un exemple parlant est celui du Moratoire sur le soja en Amazonie, un engagement des négociants en céréales à ne pas acheter de soja cultivé sur des terres récemment déboisées dans cette région. Adopté en 2006, il a contribué à une réduction spectaculaire de la déforestation directement liée à la conversion du soja en Amazonie brésilienne, concède le WWF. « Mais une partie de cette culture du soja a été déportée dans  le Cerrado, une région de savane brésilienne, bien moins protégée alors qu’elle abrite, elle aussi, une riche biodiversité », raconte Véronique Andrieux.

L’urgence d’une nouvelle législation pour le WWF

Pour le WWF, il est urgent d’agir, d’autant plus que cette déforestation liée aux importations tend à gagner de nouveaux fronts. En Afrique de l’ouest sur le cacao, mais aussi en Afrique centrale et occidentale et dans le Mékong sur l’huile de palme. Ou encore dans la forêt du Gran Chaco, en Amérique du Sud, où la culture de soja et l’élevage de bétail cherchent à gagner du terrain.

L’ONG presse alors l’UE de se doter d’une nouvelle législation ambitieuse ainsi que des mesures complémentaires de soutien aux pays producteurs, pour parvenir enfin à cet objectif de « zéro déforestation importée ». « La Commission européenne y travaille et la France aura un rôle à jouer, puisque les négociations entre les pays autour de ce texte devraient se dérouler au premier semestre 2020, au moment où la France présidera le Conseil européen », explique Véronique Andrieux.

Le WWF ne transigera pas sur certains points de cette future législation. « Elle devra intégrer des mesures contraignantes pour les entreprises visant à garantir que les produits qu’elles mettent sur le marché n’ont pas participé à la destruction des forêts ou à la conversion d’écosystèmes naturels », indique Véronique Andrieux. En insistant sur « écosystèmes naturels ». « L’erreur serait de limiter le champ d’application de cette législation aux forêts, alors qu’on le voit très bien avec les pressions que subit en ce moment la région du Cerrado, nos importations, en Europe, sont aussi directement liées à la destruction de savanes, de zones humides, de praires de mangroves… » Des milieux tous riches en biodiversité, et qui jouent aussi leur rôle de puits de carbone.

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Six matières premières importées qui pèsent lourd dans la déforestation

Six matières premières représentent à elles seules plus de 80 % de la déforestation tropicale importée par l’UE sur cette période 2005-2017, indique le WWF dans son rapport. En tête, le soja que les pays européens font principalement venir du Brésil, mais aussi d’Argentine et du Paraguay, pour nourrir le bétail. Cette seule matière première pèse pour 31 % de la déforestation liée à nos importations.

Suit l’huile de palme, utilisée dans l’agroalimentaire, les cosmétiques mais aussi, de plus en plus, dans la production d’agrocarburants. Cette matière première est importée cette fois-ci d’Indonésie et de Malaisie et compte pour 24 % de la déforestation liée à nos importations. Viennent ensuite la viande de bœuf, que l’on fait venir très majoritairement du Brésil (10 %), les produits dérivés du bois (Amérique du Sud – 9 %), le cacao (Afrique – 6 %) et le café (Amérique du Sud et Afrique – 5 %)…

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