• Le « plan crack » lancé en mai 2019 et réunissant Etat, mairie de Paris et associations, doit s’achever à la fin de l’année.
  • La chambre régionale des comptes (CRC) en fait un bilan contrasté, avec une forte hausse des hébergements d’urgence, mais qui n’a pas suffi à faire face à l’afflux de consommateurs de crack.
  • Objectif indirect du plan la « réduction des troubles causés à la tranquillité publique s’avère limitée », indique le rapport de la CRC.

Voilà, c’est fini… Pas la carrière de Jean-Louis Aubert mais le « plan crack » lancé en 2019 et qui doit s’achever à la fin de l’année. La Chambre régionale des comptes (CRC) d’Ile-de-France a donc décidé de faire le bilan de sa mise en œuvre, à l’heure où de nombreux usagers de crack vont passer Noël au square de la porte de la Villette, dans les confins du 19e arrondissement. Près de 25 millions d’euros ont été mobilisés sur trois ans et pourtant pour les riverains, rien n’a vraiment changé. D’ailleurs la CRC le reconnaît : « les moyens mis en œuvre n’ont pas permis suffisamment d’écarter [les consommateurs de crack] de la rue et de réduire ainsi les troubles à l’ordre public ». Comment expliquer cet échec ?

D’abord parce que le « plan crack » qui réunissait la préfecture d’Ile-de-France, la préfecture de police, la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), l’ARS, la Ville de Paris et le parquet de Paris ne visait pas prioritairement à réduire les nuisances sur la voie publique. « La logique première est la prise en charge médico-sociale des usagers de crack, explique Christian Martin, président de la CRC d’Ile-de-France. Ce n’est pas un plan directement tourné vers la sécurité publique mais indirectement, en retirant les usagers de la rue, de diminuer les nuisances dans la rue. » Evidemment si l’objectif premier n’est pas, ou mal atteint, celui qui en découle ne le sera pas non plus.

De plus en plus de fumeurs de crack

Or, malgré des moyens bien plus conséquents que prévus – quasi 25 millions d’euros sur trois ans contre 9 millions inscrits –, « le plan était sous-dimensionné », constate Christian Martin. En partie parce que « la volonté n’était pas de traiter la totalité du problème, il y avait aussi un volet expérimentations ». Mais aussi parce que « depuis le début de 2020, le nombre de consommateurs de crack dans l’espace public a augmenté du fait de l’arrivée d’un public nouveau », indique le rapport de la CRC.

Aujourd’hui, il y aurait 700 à 800 consommateurs de crack dans l’espace public. Or le plan ne prévoyait que de doubler le nombre de places d’hébergements d’urgence, en général des chambres d’hôtels, en les portant de 60 à 120. Et même si, à la faveur de la crise sanitaire, les pouvoirs publics sont allés bien au-delà des objectifs en ouvrant environ 400 places, il en reste, selon les associations, encore environ 300 à 350 à errer dans les rues, avec les nuisances potentielles que cela peut générer.

Un goulet d’étranglement

D’autre part, le plan prévoyait une logique de parcours. Les usagers vulnérables sont d’abord pris en charge par des maraudes, puis installés dans des hébergements d’urgence avant de bénéficier d’un suivi médico-social. Autant, les deux premières phases ont connu un coup de boost, autant la suivante passe pour le parent pauvre. « La création de places de LHSS [lits halte soins santé] et de LAM [Lit d’accueil médicalisé] reste encore à l’état de projet, tout comme les appartements de coordination thérapeutique [ACT] », déplore le rapport. Conséquence : « le délai moyen de séjour [en hébergement d’urgence] avant d’obtenir une place » en aval « peut être estimé à cinq ans »…

Autre problème soulevé par la CRC, « le plan ne prévoyait pas de maraudes de nuit, lorsque les nuisances sonores sont les plus perceptibles et perturbantes ». De même, « sur les six espaces de repos prévus, deux seulement ont été ouverts ». Et surtout, ils ne sont ouverts que de jour alors que « les principales nuisances pour la tranquillité publique sont principalement constatées la nuit », selon la CRC. En raison, selon les magistrats, d’un manque de moyens humains et fonciers, trouver un local pour accueillir ce type de populations à Paris est en effet compliqué.

Ni les riverains, ni les crackers n’ont été pris en compte

D’autre part, note Christian Martin, « aucune action supplémentaire prévue sur les actions de sécurité publique et de lutte contre le trafic de crack : si on ne traite pas le problème par les deux bouts, c’est sans fin. » Néanmoins, selon le rapport de la CRC, « la préfecture de police estime que la mobilisation de ses services a permis de procéder à un nombre accru d’interpellations de dealers ». Ce que la Ville de Paris conteste.

Enfin et surtout, l’absence des riverains comme des usagers de crack limite l’efficacité du plan crack. Réagissant au rapport, Jean-Louis Loirat, le président de l’association Oppelia qui intervient auprès de ces publics fragilisés relève que « le pré-rapport souligne à juste raison la faiblesse, pour ne pas dire l’absence, de prise en compte de la parole des habitants riverains ». De surcroît, il prévient que « depuis l’épidémie de sida, nous savons pourtant que rien ne peut être fait pour les usagers sans les usagers ». Et selon lui « ce point aveugle nous paraît un facteur prépondérant de l’échec ». Des leçons à tirer en attendant un éventuel nouveau « plan crack », qui n’est pas prévu pour l’instant.

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Accord et désaccords

Ça avait pourtant bien commencé, mais ça a fini en eau de boudin. La coordination, assez exceptionnelle, d’autant d’acteurs différents était à la base du « plan crack ». Et si elle était « intense pendant le haut de la crise sanitaire », note Christian Martin, peu à peu « les réunions se font moins fréquentes plus informelles, et moins conclusives : la volonté de coordination s’essouffle ». Par exemple, note le rapport, : « les interpellations de consommateurs de crack donnent généralement lieu, conformément aux directives du parquet de Paris [pourtant signataire du plan comme la préfecture de police], à la destruction des pipes à crack […]. Pourtant, celles-ci font souvent partie du matériel d’inhalation à moindre risque distribué par les CAARUD […] et financés par l’ARS, la Ville de Paris et la Mildeca. » On marche sur la tête. D’ailleurs, écrit le président de l’association Oppelia : « les désaccords polémiques […] entre les différentes autorités publiques ces derniers mois, notamment entre la Ville de Paris et la préfecture de police, ont fortement contribué à l’affaiblissement de la dynamique initiale ». Au détriment des consommateurs de crack.

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