18 policiers de la Bac Nord sont jugés pour des soupçons de dérives lors de l'exercice de leur fonction. — Nicolas TUCAT / AFP

  • Les auditions des policiers de la Bac nord de Marseille, soupçonnés de dérives dans l’exercice de leur fonction ont débuté ce mardi au tribunal correctionnel de Marseille.
  • Elles mettent en évidence des dérives individuelles facilitées par le fonctionnement de ce service.

Les auditions des 18 prévenus dans l’affaire de la Bac Nord à Marseille ont débuté ce mardi. Si les faits reprochés restent dans leur majorité assez minces -des faits de vols, d’acquisition, de détention et de transport de stupéfiant, les cinq policiers de la Bac entendus ce mardi mettent en lumière des dérives individuelles facilitées par le fonctionnement de ce service.

Bruno C. était le chef du groupe C de la Bac Nord « nommé sans avoir jamais passé d’examen ». Il reconnaît l’acquisition, la détention et l’offre de stupéfiant. Mais jamais aucun vol. « J’ai pu récupérer des paquets de cigarettes parce que j’étais en galère d’argent, ou deux trois barrettes pour rétribuer des indics. Mais je les récupérais dans des caches à droite ou à gauche, ou qui étaient simplement là. Je n’ai jamais volé quoi que ce soit en plus de 30 ans de police », a-t-il avancé.

Des barrettes de shit qui servaient à rétribuer un indic des quartiers Nord, mais aussi son voisin à Aubagne, pour obtenir des infos sur son lieu de vie. « Je les aurais redonnées à la Bac d’Aubagne, je suis comme ça, pour moi être flic c’est 24h/24. Je voulais simplement l’appâter comme un pêcheur », a-t-il expliqué. Et tant pis si ce fameux voisin ne lui a jamais donné aucune d’info.

Pression du chiffre

Sauf que tout ce petit manège se faisait en dehors de toute procédure légale. « On était le fleuron de la Bac française. Parfois mes supérieurs venaient me voir et me disaient "Tonton on est un peu short au niveau des chiffres". A une époque, on devait faire 56 mises à disposition par jour, tout le monde se foutait des moyens », a-t-il confié en guise d’explications à ces dérives individuelles.

Cette pression du chiffre est revenue à de nombreuses reprises dans les débats. « Les quartiers Nord, c’est aussi grand que Paris. Hormis la Bac, il n’y avait que peu de véhicules de police dans ce secteur, il arrivait même qu’on soit les seuls. Quand vous êtes soumis à la politique du chiffre vous faites comment ? Si je rentre faire une procédure, il n’y a plus personne sur le terrain. Est-ce de notre faute ou celle de l’Etat ? », a déroulé, Sébastien L. à qui l’on a retrouvé trois olives de cannabis dans son casier, mais qui conteste cette détention.

Et tant pis si on entend dans une sonorisation du véhicule un de ses collègues réclamer, en sa présence, deux barrettes de shit à un homme qu’ils soupçonnent d’avoir volé la chaîne en or qu’il porte autour du cou. « Ces paroles ont été dites, et vu le contexte de l’enquête en cours ça peut être tendancieux, mais c’est assez isolé. Je ne peux pas maîtriser les paroles de tout ce qu’on dit, il n’y avait aucun fond de pensées. Dans l’équipage, personne ne fume. Nous sommes les seuls à même de rentrer dans ces cités, on connaissait tous les coins, c’était une teinte d’humour », s’est-il défendu.

Une teinte d’humour qui n’a pas convaincu le procureur André Ribes. « Soit on ne s’arrête pas pour lui dire "c’est de l’or", soit on le contrôle. Si on me fait ça à 16 ans, et qu’on m’a dit que la police n’était pas avec moi, je comprends pourquoi. Ce n'est étonnant après qu’il y a des soupçons. Si on ne fait pas ça, il n’y a pas de rumeur, et on est plus à même de juger ce procès », a-t-il souligné.

Fortes suspicions

D’autant que tous ces faits s’inscrivent dans une période de fortes suspicions autour de ce genre de pratiques au sein de la Bac Nord. « Votre hiérarchie vous demande de ne plus faire de stup parce qu’il y a des soupçons, et vous y allez quand même », a demandé André Ribes, le procureur, à Stéphane J., qui reconnaît l’acquisition et la détention de stupéfiant pour rétribuer une source, mais pas le vol de cigarettes.

« Le seul truc qui les touche ce sont les stups. Si on ne les touche pas, ils prennent de la graine, comme on dit, et ils nous attaquent. Et au-delà de ça, on nous dit plus de stups en janvier et les supérieurs organisent une opération médiatique contre les stups en septembre. On était le porte-avions de la police marseillaise, il fallait charbonner pour que les supérieurs montent hiérarchiquement, les chiffres font avancer leur promotion », a décrypté Stéphane J.

Un bateau amiral, une pression des chiffres et une adrénaline de tous les jours, qui ont entrainé certaines dérives. Comme lorsqu’il ne prévient pas sa hiérarchie après avoir arrêtés des braqueurs grâce à un indic. « Très honnêtement ça n’intéresse personne les moyens employés, il n'y a que les résultats. On avait peu de relations avec la hiérarchie. Le Commissaire venait pour amener des packs de bières et taper dans le dos quand on faisait des jolis coups », a-t-il relaté.

Ou lorsque aucun écrit n’est réalisé à la suite d’une tentative de flagrant délit sur un revendeur, parti se réfugier chez une nourrice, qui tourne mal et que les policiersrepartent bredouille. « On n’a rien fait parce que ce n’est pas dans nos habitudes. On a perdu totalement la réalité des choses, c’était notre quotidien. C’est incroyable, je n’avais pas ce comportement dans le groupe de nuit, le management y était serré. Et ouais après on se retrouve avec des merdes. C’est du grand n’importe quoi. La Bac c’est un peu la force de frappe qui ne se pose pas de questions », a-t-il admis.

Humour douteux

Un semblant de prise de conscience absente chez David G. qui n’a pas vu, ou ne comprend pas « ces dérives ». Et cette sonorisation dans un véhicule dans lequel il se trouve et où l’on entend les policiers parler « financement vacances en Thaïlande, avec un bonus sous les yeux perdu à cause d’un connard. Alors qu’on pouvait s’en faire plusieurs des voyages, des apéros avec gonzesses pour te ronger pendant que tu bois ton coca » ?

« On faisait allusion aux petites filles mineures. On délirait sur les petites filles », s’est-il hasardé, vite repris par la présidente Cécile Pendaries après que des rires ont éclaté dans la salle. « Vous préférez partir dans un délire pédophile que reconnaître le vol de stups pour donner à des indicateurs ? », l’a interrogé André Ribes. « C’était vraiment un délire », a répondu celui déjà condamné pour des violences conjugales. Les auditions vont se poursuivre ce mercredi et ce jeudi.

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