La ministre déléguée chargée de la citoyenneté, Marlène Schiappa, annonce la création de brigades de policiers en civil pour lutter contre le harcèlement de rue. — Jacques Witt/SIPA pour 20 Minutes

  • À l’occasion de la semaine internationale du harcèlement de rue, Marlène Schiappa annonce dans 20 Minutes le renforcement des dispositifs mis en place en France depuis le vote de sa loi pénalisant « l’outrage sexiste », en août 2018.
  • Un baromètre annuel sur le harcèlement de rue sera lancé dès août 2021 et permettra de réaliser une cartographie des quartiers et zones propices à ce harcèlement du quotidien, qui touche de nombreuses femmes.
  • Des brigades de policiers en civil, formés spécifiquement au harcèlement de rue, seront notamment déployées dans ces zones « rouges ».

C’est un sifflement déplacé, une insulte sexiste lancée dans les transports en commun, ou des avances réitérées dans la rue malgré un refus affirmé. Ce harcèlement du quotidien, longtemps banalisé, « n’est pas juste un petit désagrément, ça mine la vie des femmes », insiste la ministre déléguée à la Citoyenneté, Marlène Schiappa. À l’occasion de la semaine internationale du harcèlement de rue, l’auteure de la loi du 3 août 2018 qui pénalise « l’outrage sexiste » annonce à 20 Minutes un renforcement des dispositifs mis en place depuis trois ans.

Lors d’un déplacement prévu jeudi après-midi à Châtelet-les-Halles avec les équipes de la préfecture de police de Paris et les policiers de la BRF – la brigade des réseaux ferrés –, la ministre reviendra sur les évolutions prévues par le gouvernement. Création d’un baromètre annuel, cartographie des zones à risque, déploiement de brigades en civil et lancement d’une formation spécifique pour les forces de l’ordre seront ainsi déployés à partir de l’été 2021. L’objectif : créer « des QSR, des quartiers sans relous », et permettre aux femmes d’arpenter sereinement l’espace public.

En septembre dernier, on dénombrait 1.800 verbalisations pour « outrage sexiste » depuis la promulgation de votre loi. Vous aviez annoncé vouloir doubler ce nombre. Où en est-on aujourd’hui ?

3.023 verbalisations pour outrage sexiste ont été enregistrées depuis la promulgation de la loi du 3 août 2018. Ce chiffre est en augmentation parce que nous donnons avec le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, des consignes aux préfets, donc aux policiers et aux gendarmes, pour continuer à verbaliser le harcèlement de rue, qui ne s’est pas arrêté avec le confinement. Comme il y a moins de monde dans les rues, ce harcèlement peut être plus menaçant encore, les femmes se retrouvent plus isolées et c’est là où cela devient le plus dangereux.

Pour autant, certaines associations estiment que ce chiffre ne résume pas à lui seul l’ampleur du phénomène, les flagrants délits étant difficiles à constater pour les policiers…

Je suis d’accord, le nombre de verbalisations reflète simplement les moments où ce harcèlement a été constaté en flagrant délit par des forces de l’ordre. C’est pour cette raison que je souhaite lancer un baromètre du harcèlement de rue. Le premier sera publié en août prochain, à l’occasion de l’anniversaire de la loi.

En quoi ce baromètre va-t-il consister ?

Nous allons publier chaque année les chiffres compilés par le ministère de l’Intérieur. Ils seront étudiés avec le directeur général de la police nationale (DGPN), le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), la haute fonctionnaire chargée de l’égalité des droits, Fadela Benrabia, le service statistique du ministère et la préfecture de police de Paris. Ce groupe va travailler pour créer ce baromètre du harcèlement de rue afin de mesurer, année après année, la réalité de ce phénomène.

Un phénomène qui n’est pas juste un petit désagrément, ça mine la vie des femmes. Quand on va à un entretien d’embauche, que l’on subit du harcèlement de rue, on n’arrive pas dans un bon état d’esprit à ce rendez-vous. On ne peut pas dire aux femmes : « Demandez des augmentations », « Affirmez-vous », « Ne vous autocensurez pas » quand, en parallèle, elles sont contraintes de rentrer les épaules pendant leurs trajets quotidiens dans les transports.

Une cartographie des zones touchées par le harcèlement de rue sera réalisée à partir du baromètre annuel, annonce Marlène Schiappa. - Jacques Witt/SIPA pour 20 Minutes

Quel est l’objectif de ce baromètre ?

Sur la base des verbalisations, des plaintes enregistrées, des observations des forces de l’ordre et des remontées des associations concernées, ce groupe réalisera une cartographie de la France pour identifier des « zones rouges » du harcèlement de rue. En fonction de ces résultats, nous déploierons un certain nombre d’actions.

Lesquelles ?

Ce que je veux, c’est éradiquer le harcèlement de rue. Pour atteindre cet objectif, nous devons en finir avec ces zones rouges où les femmes ne peuvent pas circuler librement : des policiers en civil pourront par exemple intervenir par surprise dès lors que des phénomènes de harcèlement de rue seront constatés, puis verbaliser. 2.000 des 10.000 recrutements supplémentaires annoncés récemment par Gérald Darmanin seront mobilisés pour ce projet, dans le cadre de leurs missions de protection de la population. Ce que l’on veut, c’est créer des QSR, des « quartiers sans relous ».

« Des policiers en civil pourront intervenir par surprise »

Une mission avait aussi été confiée aux directeurs de la police et de la gendarmerie nationales pour identifier « les freins » à la verbalisation. Quelles sont leurs préconisations ?

On a identifié une problématique de formation. Je vais donc en créer une spécifique sur le harcèlement de rue à destination de tous les policiers et gendarmes. La priorité sera donnée aux fonctionnaires qui évoluent dans les zones qui seront identifiées comme « rouges », puis on l’étendra au reste du territoire.

Cela nous permettra de mobiliser au mieux le réseau de vidéoprotection dans les gares ou les transports et d’aider les forces de l’ordre à se saisir de tous les outils mis à leur disposition. La mise en place de brigades spécifiques en tenue civile pour constater davantage de flagrants délits permettra de lutter à la fois contre le harcèlement de rue et contre les agressions sexuelles – comme celles perpétrées par les frotteurs, par exemple – dans les transports en commun.

Vous aviez également annoncé l’arrivée de 80 intervenants sociaux dans les commissariats sur l’ensemble du territoire. Combien ont été intégrés aux effectifs depuis septembre et quelles sont leurs missions ?

Les intervenants sociaux ont été déployés après le Grenelle sur les violences conjugales. L’objectif de recrutement a été rehaussé, je souhaite qu’il y en ait deux par département d’ici à la fin de l’année. 365 sont déjà répartis sur toute la France et sur les 80 recrutements annoncés, 67 ont d’ores et déjà été réalisés. Certains départements, comme la Corse, n’en comptaient jusqu’ici aucun.

On s’est aperçu qu’il y avait un écart entre les attentes des victimes de violences sexuelles ou sexistes qui se rendent dans un commissariat et ce qu’on leur propose. Un policier va prendre la plainte, la qualifier et la transmettre. C’est déjà beaucoup et il faut que ce soit fait à chaque fois, mais le policier n’est pas là pour aider à trouver une structure d’accueil ou réconforter. C’est important que cela soit fait, mais par des intervenants sociaux.

Dans son rapport d’évaluation de la loi d’août 2018, la députée LREM Alexandra Louis pointait le caractère insuffisant de la contravention pour les récidivistes. La possibilité de la transformer en délit lorsqu’elle est commise en récidive est-elle envisagée par votre ministère ?

Nous sommes en train d’y réfléchir. L’amende de base pour outrage sexiste s’élève à 90 euros. Mais il existe des circonstances aggravantes, comme la récidive par exemple, ou quand la victime est mineure de moins de 15 ans. Dans ce cas, l’amende peut aller jusqu’à 1.500 euros. Mais je tiens à échanger avec les personnels mobilisés sur le terrain, car les dispositifs et les lois ne suffisent pas toujours.

Comment comptez-vous adapter votre politique de lutte contre le harcèlement de rue au contexte sanitaire actuel ?

Dès le mois de mars 2020, j’ai transmis un rapport à la Fondation Jean Jaurès sur l’impact du Covid-19 sur les droits des femmes, en France et dans le monde. Dès ce moment-là, j’ai sonné l’alarme auprès des pouvoirs publics. Je représente le gouvernement mais il y a aussi les maires, les collectivités, les régions, les départements, les associations qui peuvent s’engager sur cette question.

Le déconfinement va faire émerger des préoccupations très particulières. On va probablement assister à un phénomène de « décompensation », dès lors que tout le monde sera vacciné, qu’on va rouvrir les bars, que les gens vont sortir. On se prépare dès maintenant. C’est la raison pour laquelle je souhaite que des policiers en civil puissent agir dans les « zones rouges » le plus rapidement possible. La sécurité des femmes dans les transports est une priorité.

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